L’oiseau décolle. Il frôle la voûte céleste, coupe le soleil, projette son ombre sur le sol, son ombre qui s’agrandit, et après un prélude de sa voix chantante, il redescend vers le sol avec grâce.
Il n’aurait pas du.

Cachée dans les fourrés, deux yeux verts surveillent l’oiseau qui entame son piqué avec grâce et fluidité. L’oiseau frôle le sol. Remonte. Les yeux suivent la courbe. Redescend, se pose. Les yeux se posent sur l’oiseau. Et brusquement, un gros chat jaillit des fourrés, se jette sur le mainate et lui tranche la gorge. Moi. Non, pas moi, le mainate, moi, le chat. Crétin va. Je tire le mainate dans le fourré et en fais mon repas de midi. Moi qui n’avais rien mangé depuis hier au soir, ça me fais du bien. C’est bizarre en fait, parce que moi, guérisseuse solitaire, itinérante, accrochée à des principes qui guident ma vie, sur ma voie harmonieuse et lumineuse, je suis entrée dans un Clan. Et de là, tout s’est chamboulé. Ne laisser personne dépendre de moi s’est soldé par un échec, puisque mon devoir était maintenant de nourrir le Clan et soigner les blessés. Ne jamais dépendre de personne subsistait encore. Ne recevoir d’ordres de personne tombait aussi à l’eau, puis j’avais maintenant un chef, mais aussi un lieutenant, qui étaient à même de me donner des ordres. Et puis quoi encore ? Quoi qu’on me fasse faire, je restais solitaire. Libre de mes pensées. J’avais appris avec effarement que les nouveaux arrivants, ces Clans, croyaient en un Clan des Etoiles ... Quelle drôle d’idée ! Croire que nos ancêtres sont au-dessus de nous et nous surveillent, nous protègent, harmonieux et bénéfiques ? J’avais du mal à imaginer que les félins morts du Conclave ou du Clan du Sang me surveillaient avec sympathie, le derrière posé sur leur petit nuage. Je n’avais pas clairement affirmé ma position de non-croyante, mais j’avais vite senti que cela avait rafraîchi mes relations avec les membres du Clan puisque selon eux, la guérisseuse était, avec le chef, la seule capable de communiquer avec les morts, recevoir des prophéties et des mises en gardes. Eh l’ancien, envoie-moi un texto plutôt !

Ne jamais laisser personne dépendre de moi. Ce serment avait été doublement brisé, piétiné, laminé. Et à dire vrai je m’en fichais un peu. Non seulement je devais soigner les blessés et ramener de la nourriture quand je chassais, mais en plus, j’avais un ... Apprenti. Etoile du Baron, du haut de ses neuf vies – ça par contre j’y croyais sans difficulté aucune – m’avais nommé mentor d’un jeune brimborion plein d’espoir, un dénommé Nuage d’Automne, que j’avais brièvement rencontré et qui m’avais semblé assez sérieux, mais surtout assez motivé. J’avais donné rendez-vous à ce gamin aujourd’hui même, ici dans le parc, à deux heures tapantes. Non, je ne l’accompagnerais pas. Parce que mon passé de solitaire me l’interdisait, tout simplement. Je considérais que personne ne devait nous guider sur la voie, et que pour pouvoir prétendre à devenir un être exceptionnel, il faut s’en donner les moyens. Lui demander de me retrouver à un endroit précis tout en lui donnant l’heure était le minimum. J’eus une pensée mélancolique pour mon mentor, qui se contentait de partir au petit matin sans me dire ni où ni quand je devais le retrouver. Et je le retrouvais toujours. Alors ce môme en ferait de même avec moi, et foi d’Effet Papillon, j’en ferais un véritable arpenteur de la voie qu’il a choisi en toute liberté. Et si non ? Il n’avait plus qu’à se retirer. D’ailleurs, il était en retard ... Je sortis de mon fourré et sautai sur un jouet à bascule implanté dans le sol, attendant l’apparition de mon petit apprenti. Qui arrivait en traînant la queue, visiblement éreinté. Mes moustaches se redressèrent à peine, manifestant ma surprise invisible. J’attendis qu’il arrive à mon niveau pour baisser la tête et le regarder.

« Tu es en retard, ce n’est pas très sérieux, lâchai-je d’un ton neutre. Puis-je savoir ce qui t’a retardé ? »

Quelque chose de grave, j’espère ... Parce que oui, je suis très pointilleuse sur la ponctualité, moi !

Le petit apprenti commençait à s’éterniser. Ce qui commençait d’ailleurs à m’énerver un peu. Or, énerver son mentor n’était pas le mieux à faire. Bon évidemment, on peut toujours changer de mentor, sauf quand on est guérisseur, c’est un peu plus compliqué ! Je ne voyais pas le gosse changer de Clan pour continuer sa formation ... Non, je le voyais plutôt se recycler dans une formation de guerrier et finir sa vie malheureux. Ou plutôt ... Malheureuse, puisque les ancêtres daignèrent m’envoyer un texto mental, qui transita de mon inconscient freudien à ma conscience tout aussi freudienne, pour faire tilt à mon cerveau. Eh oui, Papillon, ton apprentie est une femelle, c’est dingue ! Nuage d’Automne, femelle. Enregistre, sauvegarde tes données, ma poule. Nuage d’Automne, femelle, était donc en retard, ce qui provoquait en moi une chose bizarre. Une furieuse envie de me gratter la tête. Pardon j’arrête mes conneries xD.

L’apprentie arrivait en courant. Je la voyais dans mon champ de vision. Elle s’arrêta pour une courte toilette et se mit en branle vers moi en traînant la patte. Quand je lui demandai la raison de son retard, il ne trouva rien de mieux qu’une excuse pitoyable de monstres à trois pattes. Je laissai un silence s’installer entre nous, et je levai sensiblement mes moustaches, pour lui montrer que, grosso modo, son excuse était non recevable. Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu, mais bien sûr ! Avec un léger soupir, je me redressai avec grâce avant de bondir au sol sans un bruit. Une fois à terre, je tournai mon regard énigmatique vers le chaton en secouant la tête.

« Tu aurais pu trouver une meilleure excuse, arguai-je sans ton. Avoir été poursuivi par un chien ou un camion de la fourrière me paraît plus probable qu’un ... Animal à trois pattes qui se baladerait ici et qui, comme de par hasard, t’aurais suivi et serait parti avant que tu n’ais pu me prouver la véracité de son existence. »

Ouh la. Voilà que j’avais une crise comme faisais mon ancien mentor, Mirage. Avais-je le malheur d’arriver en retard qu’elle me sortait de grandes tirades de sa voix claire et plate, qui faisaient encore plus mal quand elles étaient dites calmement plutôt qu’hurlées. Totale maîtrise de soi-même entre autre ! Mais bon, à avoir vécu six lunes avec une chatte extraordinaire, j’avais tendance à l’imiter en plusieurs points, à la prendre comme modèle pour mes apprentissages. Nuage d’Automne allait en baver comme moi-même j’en avais bavé. Parole d’Effet Papillon. Mais au moins elle en ressortirait grandi, et après avoir passé six lunes entières à me haïr et me maudire, elle me respecterait et ferait de même avec ses apprentis. Comme je faisais actuellement.

« Ou à la limite, me dire que tu as eu du mal à te réveiller, continuai-je sur le même ton, ou que tu n’es pas encore habituée au train-train de l’apprentissage. Je peux comprendre, tu sais. Je ne suis pas qu’un monstre sans cœur qui va donner des cours au chaton que tu es. »

Je lui fis un sourire simple mais non vide de chaleur, et me levai souplement, agitant la queue pour que mon apprentie me suive. Les oreilles dressées, j’écoutais mon environnement en même temps que je marchais vers les buissons. D’un bond souple, je sautai dans un fourré et fus rapidement rejointe par la petite chatte. Alors, il fallait commencer la leçon, maintenant ! je me tournai vers la jeune chatte et m’assis avant de poser mes question.

« Avant toute chose, est-ce qu’on t’a déjà appris à combattre et chasser ? L’apprentissage des plantes ne te servira à rien si tu ne peux pas survivre dans l’environnement hostile qu’est la ville. »